Nourrir la peur est une activité qui n’a jamais été aussi lucrative qu’en 2010. Il y a d’abord eu la terreur de l’an 1000, la menace de la comète de Halley, le tremblement de terre anticipé à Los Angeles, les pasteurs évangéliques qui prédisent la fin du monde depuis les années 1970 ; mais les scientifiques n’ont pas encore trouvé d’arguments assez puissants pour démentir les textes de l’Apocalypse, même si les spécialistes s’accordent maintenant pour dire qu’ils n’ont pas été écrits par l’apôtre Jean et qu’ils datent seulement de l’an 95. Mais aujourd’hui, l’humanité traverse bien plus qu’une crise économique, elle traverse une « crise totale qui touche la conscience », prophétise Ludmila Oulitskaïa du quotidien moscovite Ogoniok. Nous vivons à une époque néogothique où la culture populaire reflète notre angoisse. La peur est présente dans la littérature, le cinéma et l’art contemporain. On voit des vampires, des zombies, des terroristes et des catastrophes écologiques, nucléaires et naturelles partout. The road, de Cormac McCarthy, le film 2012, qui présente le calendrier maya à la sauce new age et les séries où les vampires sont des adolescents ordinaires du New Hampshire, sont les plus gros succès du box-office. La réécriture du livre de Jane Austen, Pride and Prejudice and Zombies ne fait même plus sourciller personne. Hollywood prévoit même en faire un film l’année prochaine.
« Quand les gens sont profondément frustrés, matériellement ou spirituellement, cela alimente des rêves de société parfaite, où tous les conflits sont résolus et tous les besoins satisfaits », écrit Ian McEwan dans The Guardian.
Pour ce numéro de Zinc, nous avons choisi de vous présenter des pays imaginaires, où tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Vous y trouverez des uchronies médiévales, du steampunk d’inspiration vernienne, du futurisme politique et autres robinsonnades, car nous souhaitons expier nos crimes d’autofiction. L’idée est de galvaniser les genres. Mais plus encore, nous avons eu la chance, pour ce numéro, de poser des questions à Melissa Auf der Mauer, laquelle est magnifique sur notre page couverture photographiée par George Fok. Nous avons également interrogé Simon Darveau, concepteur d’Assassin’s Creed 2, Anne Robillard, reine des royaumes enchantés, et l’un de ses figurants, que vous voyez dans les salons du livre, c’est-à-dire Martial Grisé, alias roi Hadrian.